Première diffusion le 10/04/2025.
Il est tout juste 12h rue des Rosiers, dans le 4ᵉ arrondissement de Paris. Comme tous les jours depuis cinq ans, le restaurant Le Beef, spécialisé dans la viande, accueille ses premiers clients. Mais depuis quelques mois, beaucoup de tables restent vides, comme le constate son responsable Christophe Soret.
“On a dû perdre au moins 20% à 25% de la fréquentation du midi. Ici, avant, on faisait 45 couverts sans problème. Aujourd’hui, on est plutôt entre 15 et 20, sauf quand il y a beaucoup de touristes. Mais les gens du quartier, ceux qui travaillent et qui vivent ici, on les a quasiment perdus d’un tiers.”
En cause, le télétravail et le coût d’un repas au restaurant
Les clients de fin soirée deviennent rares, et quand des familles viennent manger, elles commandent moins : “Entrée, plat, dessert, c’est fini. Aujourd’hui, des familles qui font entrée, plat, dessert, ça n’existe plus.” Pourtant, Christophe Soret, responsable de trois autres restaurants répartis dans le 10ᵉ et le 11ᵉ arrondissement de Paris, a fait le choix de ne pas augmenter ses prix à la carte, alors que ses charges sont de plus en plus importantes :
“Le prix de l’huile, au plus haut de l’inflation, a été multiplié par trois. Le beurre a été multiplié par quatre. L’énergie a été multipliée par deux voire deux et demi. Vous vous retrouvez du jour au lendemain, à passer de presque 1 500 euros d’électricité et de gaz par mois à 3 000 euros ! Si cette inflation fait considérablement baisser nos marges, au bout d’un moment, on est totalement étranglé.“
“Les Jeux olympiques nous ont fait beaucoup de tort”
Rien qu’en Île-de-France, au dernier trimestre 2024, le nombre de dépôts de bilan a augmenté de 40% sur un an. Un tel niveau de défaillance n’a jamais été atteint dans le secteur de la restauration. S’y ajoute le remboursement des prêts garantis par l’État accordés pendant la pandémie qui met certains restaurateurs sous pression. Franck Delvau est président de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (Umih) pour Paris et l’Île-de-France :
“Nationalement, il y a 15 à 20 restaurants qui ferment tous les jours. C’est vraiment une crise plus profonde. Là, on sent vraiment l’après Covid. Le télétravail perturbe énormément les activités. On voit, par exemple, des endroits comme à La Défense où le vendredi, on a des baisses de chiffres d’affaires de l’ordre de moins 50% à moins 60%.” Et si rien ne change, Franck Delvau est inquiet pour la suite :
“Les perspectives 2025 dans nos métiers ne sont pas bonnes. Les Jeux olympiques nous ont fait beaucoup de tort. Il y a eu un phénomène d’évitement de la destination Paris pendant les JO. On a eu des baisses de moins 40%, moins 50%, et on a beaucoup de mal à s’en remettre en termes de trésorerie. C’est pour ça qu’il est urgent de suspendre le remboursement des PGE (prêts garantis par l’État), à baisser les charges sociales dans nos métiers et à faire une loi, qui va légiférer sur les ouvertures d’établissements. On ne peut pas voir dans Paris des restaurants de street-food qui ouvrent tous les cinq mètres, des fast-foods qui ouvrent tous les trois mètres dans les rues, ce n’est pas possible, on ne peut pas continuer comme ça.“
Une nouvelle offre qui tire pourtant le secteur vers le haut. En 2024, la restauration en France a connu une croissance moyenne de 7%, selon Bernard Boutboul, Directeur du cabinet d’études Gira Conseil : “Cette croissance de 7% est très bonne, sur le papier. Mais c’est l’arbre qui cache la forêt parce que derrière ce + 7%, il y a deux catégories d’acteurs : ceux dont la croissance est en baisse, de l’ordre de – 8% à -12%, et ceux qui connaissent une très forte progression, jusqu’à + 18%.“
Et ce qui a changé dernièrement, c’est l’arrivée d’une génération beaucoup plus exigeante, qui ne veut plus des restaurants traditionnels : “Particulièrement la nouvelle génération de consommateurs, que nous appelons la Gen Z élargie, poursuit Bernard Boutboul. En synthèse, ce sont les moins de 30/35 ans, qui n’ont pas du tout les mêmes attentes et motivations que leurs parents et leurs grands-parents. Ces clients attendent de la découverte culinaire, qu’on s’occupe d’eux et qu’on les chouchoute au restaurant. Ils zappent énormément. Cela ne veut pas dire qu’ils n’aiment pas le restaurant dans lequel ils sont allés hier, mais ils ont tellement de choix à leur disposition, ils ont envie d’aller tout voir, qu’on a l’impression qu’ils sont infidèles.“
Les établissements qui souffrent d’un manque de modernisation seront les premiers à mettre la clé sous la porte, préviennent les analystes.