Quant aux déserts orientaux qui ont inspiré nos imaginaires, ils étaient eux-aussi peuplés de civilisations arabes, fondées sur l’exploitation des oasis. Une réalité d’abord ignorée par l’armée de Napoléon Ier, puis par les puissances coloniales du XIXème siècle. C’est au gré des conquêtes territoriales en Orient qu’émerge en effet un imaginaire parallèle et stéréotypé : celui d’un Désert “sublime” et abandonné. Une essentialisation rendue possible par la négation de la pluralité de ces espaces, de leurs cultures et de leurs populations.
Le désert, un lieu de mémoire
Avant même les premiers chrétiens, des sages prescrivaient déjà des retraites dans le désert d’Orient pour se livrer à une catharsis qui libère l’âme de la prison du corps. Marie Gautheron, historienne de l’art et auteure de “Désert, déserts. Du Moyen Âge au XXIème siècle”, explique comment le désert est aussi un lieu de mémoire : “Les premières images du désert d’Orient, de cette scène héroïque des pères et des mères du désert, il ne faut pas oublier les mères, qui sont très nombreuses, arrivent dès la fin du IVe siècle, en l’an 400. Cassien importe sur nos côtes méditerranéennes cet univers, ce monde où l’on se retire pour se purifier. Se retirer, c’est ce que fait un anachorète, quitter le monde, quitter le monde habité, dans un univers autre, solitaire, où on va se transformer, où on va affronter la tentation, où on va rencontrer le diable, mais peut-être aussi Dieu.”
Un endroit aussi terrifiant que spirituel
Les pères du désert, en Provence par exemple, racontaient ce qu’ils savaient du désert, ce qu’ils y font, ce qu’ils y ressentent, le décrivant à la fois comme un endroit rempli de peur et comme un accompagnement spirituelle : “Pour susciter cette perte du monde, cet abandon du monde, il y a cette idée qu’il faut affronter le désert, l’aridité, l’austérité, l’horreur, on les appelle les déserts affreux, locus horribilis en latin. Les spirituels veulent imiter les pères du désert, donc créer un environnement propre à susciter la conversion aussi violent, aussi purificateur que les pays arides d’Orient. Comme il n’y en a pas, ils vont les rechercher dans les déserts les plus affreux possibles, peuplés de serpents, de bêtes sauvages, et surtout coupé du monde, éloigné du monde, que sont les îles, puis les forêts. Très vite, le désert d’Occident, ça va être la forêt. Et ça, jusqu’à la toute fin du XIXe siècle.“
Un endroit aride ?
Dans certains tableaux, comme celui de Gérard Saint-Jean ou de Jérôme Bosch, où le désert est rempli d’arbres, d’animaux, de plaines et des montagnes, au bord du Jourdain. Mais aujourd’hui, le désert est représenté comme aride : “Pour pouvoir accepter de se représenter le désert, voir dans le pays aride un désert, il faut qu’il soit acceptable esthétiquement. Or, c’est extrêmement difficile dans le regard occidental qui est construit par des siècles de ce qu’on appelle le paysage arcadien. Pour ça, il faut une transformation du regard. Il faut précisément qu’on passe d’une esthétique pittoresque, à l’acceptation du vide. Et l’esthétique du sublime, qui s’introduit dans le regard occidental vers le XVIIIe siècle, va permettre petit à petit cet évidement du paysage.”